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Sénégal : une rencontre maçonnique annulée sous la pression d’organisations religieuses

Près de 600 « frères » et « sœurs » venus du monde entier étaient attendus les 2 et 3 février à Dakar dans le cadre des Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram). Mais la grand-messe annuelle de la franc-maçonnerie africaine francophone a finalement été annulée face à la levée de boucliers d’organisations religieuses.

« J’ai été contraint d’annuler leur réservation en raison des menaces de troubles à l’ordre public », déplore Pierre Mbow, directeur du King Fahd Palace, à Dakar, où devaient se tenir les 26e Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches (Rehfram). En cause : le branle-bas de combat déclaré par la coalition « Non à la franc-maçonnerie, qui regroupe le collectif des associations islamiques et la Plateforme Ensemble protégeons nos valeurs (soit près d’une soixantaine d’associations au total).

« Les mobiles ténébreux des loges »

Dans un communiqué diffusé mardi 16 janvier, celles-ci vitupèrent contre « ces congrégations occultes faisant insidieusement, sous prétexte de “protection des libertés”, la promotion de cette nouvelle forme d’infanticide qu’est l’avortement et l’apologie des unions contre-nature, comme les mariages homosexuels ».

« [Les organisations signataires] ont pour programme d’alerter les populations sur les mobiles ténébreux de ces loges qui, depuis le mois de décembre dernier, avaient anticipé leurs œuvres d’agression de la société sénégalaise par une entreprise maléfique de “débauchage” de jeunes gens », poursuit le texte.

Des accusations aux résonances très fortes dans un pays musulman à 95 %, où la vie religieuse est organisée par de puissantes confréries. « Les francs-maçons français se vantent d’avoir été à l’origine de la loi Veil de 1975, qui dépénalise l’avortement, ainsi que de celle sur le mariage homosexuel en 2013 », juge Mame Mactar Guèye, le vice-président de l’organisation islamique Jamra – signataire du communiqué. Deux lois accusées de « pervertir nos valeurs et susceptibles de créer la confusion dans les esprits », estime-t-il.

« En versant dans l’athéisme et le libertinage, les textes fondateurs des francs-maçons sont aux antipodes des nôtres, poursuit Mame Mactar Guèye. Nous sommes un pays de tolérance mais nous n’acceptons pas la présence d’organisations, qui remettent en cause les acquis de Serigne Touba et El Hadj Malick Sy [fondateurs, respectivement, de la confrérie mouride et de la branche sénégalaise de la Tijaniya] ou sont susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public. »

« La franc-maçonnerie alimente des fantasmes injustifiés »

Une diabolisation des francs-maçons que déplorait en juin 2017 Charles M’Ba, ancien ministre gabonais des Finances et franc-maçon assumé : « Il est regrettable que chez nous, en Afrique, la franc-maçonnerie alimente plutôt des fantasmes injustifiés et qui servent davantage à effrayer la primordiale curiosité intellectuelle. »

Convoquées chaque année dans une capitale différente, les Refrahm avaient cette année pour thème : « Quel modèle de développement économique et social pour le progrès de nos sociétés : Libertés, Éducation, Gouvernance ? » Un sujet a priori consensuel, sur lequel les participants devaient plancher lors de conférences et d’ateliers entre initiés.

Pour les deux jours de rencontres, environ 200 euros étaient réclamés à chaque participant, auxquels s’ajoutaient 45 euros pour une soirée de gala et 30 euros pour une « journée récréative avec animation culturelle ».

Difficile pour le moment de connaître les intentions des organisateurs des Rehfram. Vont-ils « délocaliser » l’événement dans une autre ville du Sénégal ? Contacté par Jeune Afrique, leur comité d’organisation s’est refusé à tout commentaire, rappelant simplement que l’édition de Dakar avait été annulée.

Débat récurrent

Sur le continent africain, la présence franc-maçonnique remonte à la création de la Grande Loge de France (GLF) dans la capitale coloniale, Saint-Louis, en 1781. Elle a depuis essaimé dans de nombreux pays, alimentant dans l’opinion publique fantasmes, craintes et tentations complotistes.

« Au Sénégal, c’est une question extrêmement sensible, reconnaît Alassane Samba Diop, directeur de la Radio Futur Médias (RFM). Le plus souvent par ignorance, environ 95 % des Sénégalais estiment que les francs-maçons sont des satanistes. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau : en 1934, Blaise Diagne [le premier député africain à être élu à la Chambre des députés en France] avait été enterré à l’extérieur du cimetière à cause de son appartenance maçonnique. »

Bien que sujette à controverse, cette version des faits a resurgi sur la place publique au moment de l’inauguration du nouvel aéroport international, qui porte le nom du défunt député.

« Nous pensons que Blaise Diagne ne peut pas avoir le rang de héros dans le pays de Khadimou Rassoul et d’El Hadj Malick Sy, où vivent plus de 95 % de musulmans, avait ainsi jugé dans un communiqué Ousmane Faye, le président de la coalition Manko Wattu Sénégal, à laquelle appartient le parti de l’ancien président Abdoulaye Wade. La raison est que l’homme n’a jamais caché son appartenance à la franc-maçonnerie. »

Jeuneafrique

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