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Le massacre du 28 septembre raconté par une recrue de Kaleya

TÉMOIGNAGE ANONYME D’UN ANCIEN COMBATTANT DU CAMP DE KALEAH

AYANT TRANSPORTÉ DES CORPS APRÈS LE MASSACRE DU 28 SEPTEMBRE.

« … ON M’A EXPLIQUÉ QUE MA MISSION ÉTAIT D’EMPÊCHER DES POLITICIENS VÉREUX, QUI ONT DÉCIDÉ DE BRAVER LE CNDD,

DE MANIFESTER LEUR HOSTILITÉ. »

Je résidais à N’Nzérékoré, sans emploi, à la prise du pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara. En février 2009, j’ai été convoyé à Conakry avec une centaine de jeunes par l’un des responsables de la junte. Nous étions en compagnie d’un autre responsable du CNDD (le Conseil national pour la démocratie et le développement, nom du groupe qui a pris le pouvoir après la mort de Lansana Conté) qui était là avec ses propres soldats. Arrivé au camp Alpha Yaya, on m’a expliqué les raisons de mon recrutement, la formation que je suivrais au camp de Kaleah et la mission que je devrais remplir. L’un de ces chefs me dira notamment qu’en raison de l’insécurité autour du capitaine Dadis et le manque de confiance entre lui et les membres du CNDD (notamment avec Sékouba Konate dont il se méfiait), le capitaine Dadis, président de la junte avait décidé de créer son propre groupe armé au sein des forces armées… Et qu’après ma formation, j’allais intégrer le régiment commando, composé d’unités spécialisées de quatre bataillons d’élite, conçu pour assurer la sécurité du président375. Après une semaine au camp Alpha Yaya, j’ai été envoyé au camp de Kaleah376 dans la région de Forécariah où j’ai retrouvé de nombreuses recrues, toutes originaires de la région forestière.

Après avoir reçu mes effets militaires, j’ai été présenté à mes instructeurs qui étaient tous des blancs377. J’ai subi une formation de commando intense. Pendant ma formation, ce sont des professeurs guinéens recrutés qui faisaient la traduction car les instructeurs ne parlaient que l’anglais. Ma formation qui devait durer une année s’est brusquement arrêtée début septembre 2009. En début de semaine, j’ai reçu la visite d’une équipe du CNDD et d’autres militaires que je ne connaissais pas. Au cours de cette visite qui a duré toute la journée, j’ai été informé que le camp serait fermé pendant une semaine et que certaines, parmi les recrues, rejoindraient le camp Alpha Yaya pour une formation spécifique afin de réintégrer la garde rapprochée du président Dadis.

Le 26 septembre, moi et près de 200 jeunes formés à Kaleah, avons été réunis au camp Alpha Yaya où on m’a expliqué que ma mission était d’empêcher des politiciens véreux, qui ont décidé de braver le CNDD, de manifester leur hostilité au CNDD. J’ai été affecté à la conduite d’un véhicule militaire et la mission qui m’a été assignée a été de conduire mes camarades aux différents lieux où ils devaient être postés.

C’est plus tard dans la soirée que j’ai été informé que les politiciens avaient décidé d’organiser une manifestation au stade du 28 septembre. Mon équipe, consignée au camp, avait reçu l’ordre d’attendre le retour de Dadis de Labé, où il effectuait une visite pour des instructions sur la mission qui lui serait assignée. Le 27 septembre au soir, un camion militaire a été mis à notre disposition.

Le 28 septembre au matin, l’un des proches de Dadis est venu m’informer que je devais convoyer mes camarades jusqu’à l’autoroute, au niveau de l’hôpital Donka. J’ai effectué un voyage pour déposer près d’une cinquantaine de mes camarades. De retour au camp Yaya, alors, je suis allé comme mes autres camarades au mess pour prendre mon repas. Aux environs de 15 heures, j’ai été appelé par mon chef qui m’a demandé de retourner au stade. Arrivé au stade, des militaires ont embarqué de nombreux blessés et certaines des personnes sont décédées dans le véhicule. Je les ai transportées à l’hôpital Donka. Ensuite l’ordre m’a été donné de retourner au camp et d’y rester.

Le soir aux environs de 22 heures, un gradé est venu me chercher en me demandant de le conduire à l’hôpital Donka. Arrivé sur place, on m’a dirigé vers la morgue. Là, une dizaine de militaires ont embarqué des corps dans mon camion et l’ordre m’a été donné de prendre la direction de Yimbaya dans la haute banlieue de Conakry. J’ai pris la direction du petit cimetière qui jouxte l’aéroport de Gbessia. Arrivé au cimetière, des militaires présents sur les lieux ont débarqué les corps. Ordre m’a été donné de ne pas sortir du camion et de repartir avec le gradé au camp.

Arrivé au camp, j’ai retrouvé mes camarades qui étaient au stade et qui m’ont fait leur récit des atrocités commises.

Le lendemain, j’ai été appelé par l’un des chefs de la junte qui m’a signifié que j’avais un congé d’une semaine et que je devais non seulement retourner à Nzérékoré, mais que je ne devais rien révéler de ma mission. Pendant que j’étais en congés, j’ai appris qu’une Commission internationale d’enquête devait arriver à Conakry pour enquêter sur les évènements qui se sont déroulés au stade. Toutes les radios faisaient cas de cela. Pris de peur, je suis allé voir mon frère qui était professeur de droit dans une université de la place et lui ai expliqué ce que j’avais fait. Ce dernier m’a conseillé d’aller voir l’Observatoire national des droits de l’Homme et Human Rights Watch378, ce que j’ai fait en allant jusqu’à indiquer à ces organisations le lieu où étaient enterrées des victimes que j’avais transportées.

Après mon récit, l’observatoire m’a aidé à quitter la Guinée pour le Mali en attendant des jours meilleurs. Je suis donc parti pour Bamako où je suis resté jusqu’en 2011. J’apprendrai pendant mon séjour hors de la Guinée que le camp Kaleah a été fermé, que tous mes camarades ont été exclus de l’armée et que seule une infime partie d’entre eux a pu réintégrer l’armée.

Je suis marqué à vie par ces évènements.

Témoignage rédigé à partir de propos

recueillis par L’Observatoire national de la démocratie et des droits de l’Homme.

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