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Dr Alpha et Mister Condé : un engagement panafricain… depuis Paris

Lorsqu’Alpha Condé accède au pouvoir en 2010, l’espoir est permis au sein de la population guinéenne. Malgré un scrutin à l’époque déjà entaché de nombreuses irrégularités, l’élection de ce militant panafricain semble ouvrir une nouvelle page positive dans l’histoire chaotique de la Guinée plongée dans le sous-développement et l’autoritarisme de régimes successifs. L’homme a en effet un long passé d’activisme qu’il ne se fait pas prier de rappeler régulièrement : le chef de l’Etat a à son actif 50 années à lutter pour la démocratie guinéenne en tant qu’opposant et exilé à l’étranger. En revanche, ce qu’Alpha Condé passe sous silence c’est qu’il mène la lutte en sécurité depuis les beaux quartiers de Paris tandis que les Guinéens se mobilisent sur le terrain, au péril de leur vie. Au total, Alpha Condé passe 38 ans en France. Une période de militantisme hors des frontières de la Guinée durant laquelle il se lie d’amitié avec de nombreuses personnalités françaises avec lesquelles ils étudient à l’instar de Bernard Kouchner, fondateur de Médecins Sans Frontières et ancien Ministre des Affaires étrangères français.

Je ne suis pas l’ami de la Françafrique” disait Condé au Figaro en 2011, lors de son premier déplacement en France. Pourtant il ne cache pas son amitié bien argentée/monnayée avec le sulfureux Robert Bourgi ou encore le vieux chroniqueur François Soudan dont les éditos sont de véritables plaidoyers en faveur de son ami guinéen.

Mais derrière ces figures de la vieille Françafrique, Paris a réagi fermement à la crise guinéenne provoquée par la volonté du chef d’Etat de changer la Constitution afin de briguer un 3ème mandat anticonstitutionnel. Jean-Yves Le Drian, Ministre des Affaires étrangères français tranche avec son prédécesseur Kouchner et met la lumière sur ce qui fait aujourd’hui défaut à Alpha Condé : le manque de soutien national et international. « L’engagement du Président Alpha Condé à demander une réforme de la Constitution ne nous parait pas être obligatoirement partagée ni par sa population ni par ses voisins ». Mercredi 15 Janvier 2020.

Les sirènes du pouvoir plus fortes que celle de l’intérêt public

Lors de son élection en 2010, Alpha Condé annonçait son intention de devenir le “Mandela de la Guinée” en unifiant et développant son pays. Mais les idéaux panafricains qui l’ont porté à la tête du pays ont vite laissé le pas au confort ronronnant du fauteuil présidentiel.

En Guinée, le climat d’impunité et de violences loin de se dissiper s’est installé durablement. En 2020, soit dix ans après le massacre du stade de Conakry ayant causé la mort de plus de 157 citoyens et le viol de dizaines de femmes, les responsables ne sont toujours pas incriminés et aucune enquête aboutie n’a été menée concernant les disparus.

Alors que la Guinée s’enlise dans une crise sans précédent – plus de 130 Guinéens ont perdu la vie sous les balles ou les coups des forces de l’ordre depuis 2010 dont 34 depuis le début des manifestations du Front National pour la Défense de la Constitution en octobre 2019 – Alpha Condé semble obstiné à faire passer ses désirs personnels avant l’intérêt de la Nation. 10 ans après son élection, le chef de l’Etat n’a qu’un maigre bilan à revendiquer. Tous les indicateurs sociaux (taux de pauvreté, d’alphabétisation, d’emploi, de scolarisation, et de mortalité infantile) sont inférieurs à la moyenne en Afrique.

La seule avancée dont Alpha Condé se targue devant la presse internationale est la construction de plusieurs hôtels de luxe dans le pays depuis son arrivée au pouvoir. Force est de constater que la lumière des hôtels de luxe de Conakry ne bénéficie guère aux Guinéens dont le revenu moyen s’élève à 56$ mensuels en 2016, soit un tiers du revenu moyen en Afrique.

La Guinée, pourtant promise à un bel avenir grâce à la richesse de ses sous-sols et à ses caractéristiques environnementales exceptionnelles, souffre depuis 10 ans d’une présidence chaotique dont les principaux acteurs ont davantage à cœur de s’enrichir que de subvenir aux besoins de leur population.

Un isolement sans pareil sur la scène continentale

S’il se complaît à répéter qu’il faut que “les Africains règlent eux-mêmes leurs problèmes”, Alpha Condé est bien moins prompt à écouter ces mêmes Africains lorsqu’ils s’élèvent contre sa volonté de tordre la constitution guinéenne à ses propres fins.

En mauvais terme avec son homologue nigérien et président en exercice de la CEDEAO Mahamadou Issoufou, qui s’est publiquement prononcé contre un changement de Constitution en Guinée, Alpha Condé a fermé la porte à une délégation de l’institution conduite par celui-ci à la veille de la date initiale du double scrutin législatif et référendaire. Coup sur coup, CEDEAO et Union africaine ont annoncé l’annulation de leurs missions d’observation électorale en raison des irrégularités relevées. L’Organisation Internationale de la Francophonie, partenaire bien connu des pays africains lors des périodes électorales, avait été la première à se retirer du processus électoral. Face à ces coups de semonce, Alpha Condé fait la sourde oreille, agitant dans un dernier soubresaut incohérent le drapeau du panafricanisme pour justifier le “léger report” du double scrutin qu’il a fini par concéder le 28 février.

Lâché par les institutions africaines, le président guinéen a cherché un soutien auprès de ses homologues ivoirien et tchadien. En vain. C’est désormais un vieil homme esseulé qui s’entête à forcer le destin de son pays pour conserver son fauteuil présidentiel. La situation explosive dans laquelle se trouve aujourd’hui la Guinée est essentiellement due à sa volonté d’accaparer le pouvoir en dépit de la loi fondamentale, censée protéger le pays de toute dérive autoritaire.

Alors que l’Afrique toute entière lui tourne le dos, Alpha Condé ne semble avoir comme unique issue que d’annuler purement et simplement le référendum constitutionnel qui l’inscrirait définitivement du côté des dictateurs africains dans l’Histoire, bien loin de son passé revendiqué de panafricain.

Mediapart.fr